
Aux femmes blanches qui veulent être mon amie : guide féministe Noir de solidarité interraciale
For the White Woman Who Wants to Know How to be My Friend: A Black Feminist Guide to Interracial Solidarity is now available in French! Many thanks to the amazing women of Révolution Sorore.
Bref avant-propos : il s’agit de la conclusion de ma série d’essais sur la race et le mouvement féministe. Les parties 1, 2, et 3 sont toutes accessibles ici. La connaissance présentée ici a été acquise à mes dépens. Utilisez-la comme vous le souhaitez. Je dédie cet essai à toutes les femmes – Noires, racisées, et blanches – qui m’ont soutenue sur le chemin de la sororité.
Dès que je parle de racisme dans le mouvement féministe, cette question revient constamment : les femmes blanches demandent « que puis-je faire de concret contre le racisme ? Comment puis-je être solidaire des femmes racisées ? ». Il s’agit là d’une question compliquée, à laquelle je réfléchis depuis maintenant un an, et il n’y a pas de réponse simple. Il y a plutôt plusieurs réponses, aucune n’étant fixe et toutes étant sujettes à des adaptations contextuelles. La réalité de la situation est qu’il n’y a pas de réponse simple et établie aux siècles de racisme – racisme sur lequel notre société est fondée, et sur lequel ses hiérarchies de richesse et de pouvoir sont établies – qui façonnent les rapports entre les femmes racisées et les femmes blanches. Cette asymétrie de pouvoir et de privilège affecte les interactions personnelles. Elle crée les strates de défiance justifiées que les femmes racisées ressentent envers les femmes blanches, même (et peut-être tout particulièrement) en milieu féministe.
La modification des rapports dans lesquels la race n’existe que comme hiérarchie et construire des formes de solidarité pérennes entre femmes va nécessiter une introspection et un effort constants, ainsi qu’une volonté de la part des femmes blanches de changer leur approche. Voici ma perspective sur les étapes concrètes que les femmes blanches peuvent passer afin de remettre en cause leur propre racisme, qu’il soit conscient ou inconscient, dans l’espoir de leur donner la possibilité d’être véritablement sorores avec les femmes racisées.
« La première chose que tu dois faire est d’oublier que je suis Noire. La seconde est que tu ne dois jamais oublier que je suis Noire » Pat Parker, For the White Person Who Wants to Know How to be My Friend
Reconnaissez les différences causées par la race. Ne définissez pas les femmes racisées par nos ethnicités respectives. De même, ne prétendez pas que nos vies sont les mêmes que les vôtres. Ne pas voir les races revient à ne pas voir le racisme. Ne pas voir le racisme revient à le laisser prospérer sans remise en question. Commencez par reconnaître notre humanité, en voyant les femmes racisées comme des personnes pleinement accomplies, dotées de perspicacité, de capacité à penser de façon critique, ainsi que – et c’est souvent le point le plus négligée dans cette conversation – de sentiments. Commencez par examiner la façon dont vous pensez les femmes racisées, et construisez à partir de ça.
Monopolisation du féminisme et autorité
Les femmes blanches qui monopolisent le discours féministe et qui se présentent comme les seules autorités qualifiées à déterminer ce qui est et ce qui n’est pas le Vrai Féminisme perpétuent de nombreux problèmes. Ce n’est pas un hasard si les contributions des femmes racisées, en particulier leurs commentaires s’adressant au racisme ou au privilège blanc, sont fréquemment reléguées au rang de distraction par rapport aux enjeux principaux du féminisme, c’est-à-dire les enjeux qui ont des conséquences négatives directes sur les femmes blanches.
Le présupposé tacite selon lequel la perspective d’une femme blanche est plus légitime et plus informée que la nôtre, que si les femmes racisées se renseignaient simplement davantage sur un enjeu particulier alors notre regard deviendrait lui aussi nuancé, est persistant. Ce présupposé est soutenu par la croyance selon laquelle les femmes blanches sont l’avant-garde du mouvement féministes, et que les femmes racisées sont au second plan. La situation est la même s’agissant de la politique de classe, avec les femmes des classes populaires étant catégorisées comme non informées quand leurs perspectives féministes diffèrent de celles des femmes de classe moyenne. Le renforcement de ces hiérarchies est le plus grand obstacle à la solidarité entre les femmes.
Les femmes blanches ont l’habitude de trancher entre ce qui est féministe et ce qui ne l’est pas d’une façon telle qu’elles centrent le vécu des femmes blanches et le positionnent comme la référence normative du vécu des femmes. Si le vécu des femmes blanches est la référence, le vécu des femmes Noires et racisées devient, par définition, la forme déviante – et ce paradigme contribue à altériser les femmes racisées.
Le féminisme est un mouvement politique dédié à la libération des femmes de l’oppression. Cette dernière est en partie genrée, mais aussi en partie basée sur la race, et la classe. Elle est aussi en partie reliée à la sexualité ou encore au handicap. Et au sein de ces catégories, il y a toujours possibilité de recoupement. L’incapacité à reconnaître l’intersection de ces identités maintient l’oppression des femmes les plus marginalisées, ce qui n’est en aucun cas un objectif féministe. Dire aux femmes racisées qui dénoncent le racisme « les filles, ce n’est pas votre moment » rentre directement en contradiction avec les principes féministes. S’attendre à ce que les femmes racisées gardent le silence pour le bien général, c’est-à-dire au bénéfice des femmes blanches, n’est, par nature, pas un acte féministe. L’idée qu’il y a un lieu et une heure pour reconnaître une forme d’oppression vécue par les femmes mine les principes sur lesquels le mouvement féministe est construit. Les femmes blanches doivent écouter ce que les femmes racisées ont à dire sur le racisme au lieu de détourner les critiques.
Les femmes blanches ont une fâcheuse tendance à s’imposer comme les sauveuses éclairées tout en présentant les hommes racisés comme des oppresseurs barbares et les femmes racisées comme des victimes passives d’une oppression qui ne vient que des hommes de leur groupe ethnique. Cette logique reconnaît que les femmes racisées subissent des violences genrées tout en effaçant l’oppression basée sur la race que nous subissons. De plus, cela nie la réalité de l’appartenance des femmes blanches à une classe oppresseuse – façon habile et déloyale de retirer aux femmes blanches toute responsabilité dans le maintien du racisme systémique. Si le problème du racisme n’existe pas, il n’y a pas besoin d’en parler. Si on ne parle pas du racisme, les femmes blanches peuvent continuer à en bénéficier sans remise en question.
Afin que la solidarité interraciale existe au sein du mouvement féministe, la question de la propriété doit être soulevée. Encore et encore, les femmes blanches se comportement comme si le mouvement féministe était leur propriété exclusive, auquel les femmes racisées peuvent à la rigueur participer sans jamais contribuer à la définition du discours et des actions. Non seulement cette approche efface le rôle historique essentiel des femmes racisées dans le mouvement féministe, mais elle nie la possibilité que les futurs efforts de collaboration se produisent sur un pied d’égalité.
Les femmes blanches qui veulent établir un rapport de confiance et de solidarité avec les femmes racisées doivent d’abord réfléchir à la façon dont elles pensent les femmes racisées, à la façon dont elles nous conceptualisent – est-ce que vous nous considérez comme des sœurs ou comme quelqu’un à qui vous apportez un soutien de façade sans jamais vraiment nous écouter ? Sommes-nous une partie centrale de la lutte féministe ou une simple case à cocher ? Une honnête auto-critique est essentielle. Analyse la façon dont vous nous pensez, étudiez avec critique les raisons, et travaillez à partie de là.
Organisation du militantisme féministe
Etes-vous en train de monter un groupe pour les femmes ? De créer un événement ou un espace féministe ? D’établir un réseau féministe ? Chaque rassemblement de femmes crée de nouvelles possibilités pour le mouvement féministe, et il se trouve que l’une de ces possibilités est l’amélioration des rapports de race en milieu féministe. En termes d’organisation collective, les femmes blanches doivent se poser la question suivante : y a-t-il des femmes racisées dans ce groupe ? S’il n’y en a pas, c’est pour une bonne raison. C’est bien beau de dire que des femmes auparavant amies s’organisent ou que quelques militantes partagent un but précis, mais la façon dont ce groupe s’est formé n’a pas eu lieu dans un vide social. Il s’est formé dans une société où les femmes de couleur sont racisées et altérisée à tel point que notre vécu de femmes est perçu comme fondamentalement moindre. Par conséquent, notre compréhension de la situation politique des femmes, et donc du féminisme, est perçue comme inférieure.
Par exemple, plus je m’investis dans la cause Noire, plus ma légitimité féministe est contestée par des femmes blanches qui persistent à croire deux idées erronées : la première, qu’il est impossible de s’occuper de plusieurs causes en même temps, et la seconde, que la politique de libération peut être clairement divisée puisque le chevauchement des identités n’a jamais besoin d’être pris en compte. L’idée selon laquelle mon soutien à la libération des Noir-e-s ne peut être qu’au détriment de mon soutien à la libération des femmes, qu’il dilue ma politique féministe, ne saisit pas la façon dont l’essence de ces deux engagements politiques a été établie et le fait qu’ils sont intrinsèquement connectés dans la vie des femmes Noires.
S’il n’y a aucune femme racisée engagée dans votre groupe féministe, réfléchissez au pourquoi et ensuite à la façon d’y remédier. Peut-être que votre organisation, votre contenu, ou votre praxis féministe est aliénante ? L’auto-critique est loin d’être un processus confortable, mais elle est nécessaire pour que la solidarité soit possible. Un élément fondamental de cet enjeu est la façon dont les femmes blanches se comportent avec les femmes racisées.
Considérer les femmes racisées comme un simple gage de diversité, et non comme des membres à part entière de l’équipe, trahit une forme de racisme dans la façon dont nous sommes conceptualisées. Nos compétences, savoirs, et engagements pour les femmes ne sont pas vus comme étant aussi évidents que la contribution des femmes blanches au groupe en milieu féministe. Le supposé selon lequel notre présence ne sera jamais qu’une façon de remplir des quotas ignore notre humanité. Oubliez cette façon de penser. Regardez notre valeur en tant qu’individues, comme vous en avez l’habitude avec les femmes blanches, et vous finirez par notre humanité aussi. Déconstruisez votre racisme avec la même vigueur que vous déconstruisez votre misogynie intériorisée.
Il est important que des femmes racisées soient impliquées au niveau organisationnel, en tant que membres de l’équipe qui conçoit les événements et les campagnes. Laissez tomber le paternalisme qui vous persuade que vous, en tant que femmes blanches, vous êtes en position de parler pour toutes les femmes.
Comportements
Point le plus évident : ne soyez pas racistes, ni dans vos mots, ni dans vos actes. D’une façon ou d’une autre, cela se verra. Si vous dites quelque chose à propos des femmes racisées en privé que vous ne diriez pas en public, réfléchissez à la raison pour laquelle vous différenciez ces deux environnements – la réponse est souvent liée au fait que les femmes blanches ne veulent pas être vues comme racistes. Paradoxalement, être vue comme raciste est devenu un plus grand tabou que le racisme même.
Et si votre racisme est confronté, ne voyez pas cela comme une attaque personnelle. Ne soyez pas les femmes blanches qui ramènent tout à leurs propres souffrances, dont les larmes les exemptent de toute responsabilité pour leurs actions. Réfléchissez plutôt à l’étendue des souffrances subies par les femmes racisées en raison de ce racisme – je garantis que c’est si douloureux que votre propre inconfort n’est rien en comparaison. Ayez la même empathie pour les femmes racisées qui subissent le racisme que pour les femmes blanches qui subissent la misogynie.
« A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis, mais des silences de nos amis » Dr. Martin Luther King Jr.
Ne restez pas silencieuses quand vos ami-e-s sont racistes. Ne regardez pas ailleurs. Ne prétendez pas que rien ne soit arrivé. Votre silence vous rend complice de ce racisme. Votre silence normalise ce racisme, et fait partie de ce qui le rend plus légitime en général. Il n’est pas facile de défier quelqu’un dont on est proche, ou quelqu’un avec plus de pouvoir et d’influence. Mais la justice n’est pas toujours la chose la plus facile à mettre en pratique.
Enfin, ne vous reposez pas sur vos lauriers. Dans un récent entretien pour Feminist Current, Sheila Jeffreys regrette l’essor des politiques identitaires, qu’elle associe à la praxis intersectionnelle, affirmant que parce qu’on n’attend jamais des hommes qu’ils fassent tout, on ne devrait pas l’attendre des femmes. Cette attitude n’est pas rare parmi les femmes féministes blanches. Toutefois, l’attitude de Jeffreys soulève la question suivante : depuis quand le féminisme radical lesbien prend-t-il exemple sur le comportement des hommes ? Le féminisme n’est pas un nivellement par le bas, c’est un mouvement politique radical. Et cela implique une intense pensée critique, une remise en cause constante de l’oppression qui ne soit pas sélective mais totale.
Ce sera inconfortable. Ce ne sera pas une tâche aisée. Mais cela crée des pistes entières et nouvelles de soutien et de sororité entre les femmes. Solidarité qui soutiendra et nourrira toutes les femmes dans notre chemin vers la libération.